Programmation militaire: le mépris présidentiel.
La guerre est aux portes de l’Union européenne. Ce qui était impensable il y a encore quelques mois est aujourd’hui la tragique réalité et nous ramène aux heures les plus sombres de notre Histoire. Pour y faire face, la France doit se doter d’une stratégie de défense claire et partagée. La nouvelle revue nationale stratégique (RNS), présentée par le président de la République à Toulon, n’est pas à la hauteur de la crise que nous traversons.
Censée fixer le cadre stratégique dans lequel s’inscrivent les travaux d’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire (LPM 2024-2030), la RNS est consternante de faiblesse, pour ne pas dire de vacuité.
Nous regrettons tout d’abord la méthode une nouvelle fois choisie par l’exécutif pour élaborer ce texte, pourtant d’importance majeure pour les années à venir. Cette méthode est celle d’un travail mené en vase clos, loin de tout débat démocratique et parlementaire, à l’instar des conseils de défense au sein desquels le chef des Armées a défini la politique sanitaire de notre pays pendant deux ans de « guerre » contre la pandémie.
Dans son discours le 9 novembre, le chef de l’État a remercié les parlementaires des commissions consultées sur cette Revue. Peut-on parler de « consultation » quand le ministre se livre à une simple présentation devant quelques députés et sénateurs qui n’ont pas pu prendre connaissance de ce texte et ce à dix jours du discours de Toulon ? La concertation consiste-t-elle, dans la perspective de l’examen de la prochaine LPM, à noyer la parole parlementaire dans des groupes de travail pléthoriques sans réelle capacité de réflexion ni de décision ?
Visiblement, nous n’avons pas la même notion du débat démocratique. L’engagement de la Nation, tel qu’il est revendiqué, suppose que le Parlement soit pleinement associé, et dans des conditions réelles d’échanges.
L’an dernier déjà, faisant fi de la lettre de la loi, le gouvernement n’avait pas jugé nécessaire de soumettre au Parlement l’actualisation de l’actuelle LPM et s’est contenté de procéder à des ajustements à la marge, avec un débat sans valeur législative. Nous déplorons cette dépolitisation des choix faits en matière de défense, qui permet au gouvernement d’œuvrer en catimini sans avoir à rendre de compte.
Ce procédé d’élaboration de la nouvelle RNS explique peut-être les lacunes de ce texte, dans lequel rien n’est à la hauteur des enjeux et de la gravité du contexte géopolitique.
La question des stocks stratégiques, centrale depuis deux ans, doit impérativement faire l’objet d’une réflexion globale. Nous aurions souhaité que cette réflexion soit aboutie avant la rédaction de cette RNS, avec le retour d’expérience de la crise sanitaire et des huit mois de guerre en Ukraine. De même, nous apprenons qu’un « plan de préparation à l’économie de guerre est en cours d’élaboration ». Il serait temps, en effet, car une LPM « de guerre » devra nécessairement financer des stocks et des surcapacités de production industrielle, bien au-delà des programmes d’armement en cours. Le texte prévoit qu’« une rénovation du concept de défense opérationnelle du territoire sera également entreprise », et cela, sans que la gendarmerie ni le SGDSN aient été associés à la rédaction de la RNS. Ne s’agit-il pas accessoirement d’un sujet politique de la plus haute importance, qui impacte tous les territoires et intéresse particulièrement les élus locaux ?
Outre ces annonces, qui n’ont pas leur place dans un document de doctrine censé fixer un cap, et non faire le point des réflexions en cours, la RNS nous inflige une série d’énoncés dénués d’intérêt. Mais le pire n’est pas dans ces faiblesses de forme, qu’un examen par le Parlement n’aurait pas laissé subsister.
Sur le fond, le passage dans la prochaine LPM d’un « modèle complet d’armée » qui se réfère aux meilleurs standards opérationnels internationaux à un « modèle d’armée crédible, cohérent et équilibré » ne dit rien des ambitions à atteindre et révèle plutôt une dégradation de nos moyens.
Dans le cadre des institutions actuelles et de la démocratie représentative, les sénateurs socialistes militent sans relâche pour que le Parlement puisse exercer pleinement son rôle d’information et de contrôle sur les questions de défense, qui ne doivent pas être l’apanage d’experts techniques. Il confère une transparence et une expertise incontournables sur de telles décisions stratégiques, qui engendrent des efforts budgétaires et des engagements militaires conséquents. Il l’a démontré lors de l’examen de la présente LPM, que le Sénat avait largement enrichie et soutenue.
Le président de la République ne peut appeler à l’engagement de la Nation dans une « économie de guerre » sans que la représentation nationale soit associée. La politique de défense ne peut rester l’angle mort du débat public français. À l’évidence, un débat démocratique est nécessaire pour que les citoyens s’emparent de questions qui impactent leur destin et pour clarifier le niveau d’ambition de la future LPM. C’est pourquoi nous demandons solennellement au gouvernement de tenir un débat annuel en séance plénière sur les engagements de nos armées, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs.