Agence nationale du sport: un machin pour quoi faire?

 

 

 

L’article 3 de la loi relative à la création de l’Agence nationale du sport et à diverses dispositions relatives à l’organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 porte création de l’Agence nationale du sport (ANS). Les sénateurs du groupe socialiste et républicain se sont opposés à la création de cette nouvelle structure tant pour des raisons de forme que de fond.

Sur la forme, on notera que le gouvernement a procédé à la création de l’ANS par arrêté, avant même que le projet de loi lui donnant une base légale ne soit proposé et débattu . 

Outre cette création ante législative de l’Agence, peu usuelle, sa forme juridique et son mode de financement posent de lourds problèmes juridiques que le Conseil d’Etat avait soulignés  dans son avis sur le projet de loi, mais sur lesquels le gouvernement a préféré passer outre, au risque de s’attirer les foudres du Conseil constitutionnel :

• La forme juridique de GIP, retenue pour l’ANS, pose question car ce statut ne peut s’appliquer qu’à des structures menant des projets temporaires ; ainsi l’Agence n’aurait « pas vocation à devenir pérenne » et à « se voir confier la mise en œuvre d’une politique publique », selon le Conseil d’Etat ;

• Quant au mode de financement retenu, soit « principalement »  par le produit de taxes parafiscales (celles qui alimentaient précédemment le CNDS : taxe sur la cession des droits sportifs télévisuels, prélèvement sur les recettes de la Française des jeux et prélèvement sur d’autres opérateurs de paris sportifs), il n’est pas compatible avec celui légalement autorisé pour les GIP par la loi du 17 mai 2011 de simplification du droit – dont le chapitre II a prévu les « dispositions relatives au statut des GIP » et, ce,  pour deux raisons :

o les 6 types de ressources énumérés par l’article 113 de cette loi n’incluent pas  les taxes parafiscales, seul financement garanti  pour l’heure, aux termes du projet de loi ;

o le fait que la quasi-totalité des ressources provienne de l’Etat par des taxes affectées et d’hypothétiques subventions budgétaires n’est pas conforme au mode financement de droit commun des GIP ; l’article 98 de la loi précitée prévoit la mise en commun de moyens nécessaires au fonctionnement du GIP par les personnes qui constituent le GIP (en l’occurrence, pour l’ANS, l’Etat, 15 membres ; le mouvement sportif, 15 membres ; les collectivités territoriales, 15 membres et les acteurs économiques, 5 membres).

Mais l’opposition des sénateurs socialistes à la création de l’ANS est surtout motivée par des raisons de fond.

La création de cette structure constitue un nouvel acte dans le processus bien entamé de mise à  mort du ministère des sports.  Après avoir supprimer de très nombreux contrats aidés, décider du  transfert aux fédérations sportives de la moitié de l’effectif des CTS (1600 sur 3300)à l’horizon 2022, de l’absorption par les DASEN des directions départementales des sports, de la réduction des crédits budgétaires et de la division de moitié en deux ans des crédits affectés au CNDS dont héritera l’ANS, le gouvernement transfère à cette agence la mise en œuvre de politiques publiques comme le développement de l’accès à la pratique sportive pour tous, du sport de haut niveau et de la haute performance.

 

Ainsi, le désengagement de l’État va accroître les inégalités d’accès au sport plutôt que de les réduire. Cette dérégulation va également affaiblir le « gendarme du sport » que représente aujourd’hui le Ministère des sports et risque de soumettre le financement de l’Agence à des intérêts financiers privés. 

Pour le moment, l’exécutif reste sourd à nos alertes, à celles du mouvement sportif et des collectivités territoriales qui, bien qu’en faveur d’une gouvernance plus partagée, n’ont jamais souhaité cet affaiblissement qui menace l’avenir du modèle sportif français. 

Se trouve ainsi posée la question très politique de l’avenir même du ministère des sports et, ce, alors que se profilent des échéances internationales : JOP au Japon à l’automne, Coupe du monde de rugby en 2023, JOP de Paris en 2024. 

Outre ce choix inopportun de transférer une mission de l’Etat à la nouvelle agence, le fonctionnement de celle-ci, avec un financement très insuffisant et non conforme au droit commun, s’apparente d’ores et déjà à une usine à gaz :

  • L’ANS sera chargée de mettre en œuvre les politiques publiques pour développer l’accès à la pratique sportive pour tous, le sport de haut niveau et la haute performance, dans le cadre d’une stratégie qui, seule, restera définie par l’Etat et dans le cadre d’un conventionnement de 3 à 5 ans, entre celui-ci et l’Agence. Cette convention précisera les moyens « publics » mis à disposition de l’ANS.
  • Pour l’aider dans cette mission, les structures et personnes vont se superposer sans que l’on comprenne réellement qui fera quoi et comment. Ainsi le Préfet de Région devient le « Délégué territorial de l’Agence » dans toutes les régions, en Corse, en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer. Il aura notamment à charge, de veiller au développement des projets dans les territoires carencés et de mettre en œuvre les concours financiers selon les orientations arrêtées par les conférences des financeurs.
  • Il sera, par ailleurs, institué, dans chacune de ces mêmes régions et collectivités, une Conférence régionale du sport réunissant représentants de l’Etat, des collectivités, des EPCI compétents, des CREPS, du mouvement sportif et d’autres personnes « intéressées par le développement du sport » dont les organisations professionnelles des acteurs du monde économique. Ces conférences seront chargées d’établir un « projet sportif territorial » donnant lieu à la conclusion de « contrats pluriannuels d’orientation et de financement », précisant les actions et les ressources humaines et financières et matérielles dédiées. Reprenant une idée des sénateurs socialistes, le texte définitivement adopté prévoit que la Conférence nationale établira son projet annuel « en cohérence avec les orientations nationales » figurant dans la convention conclue entre l’Etat et l’ANS.

Il s’agit d’un maigre gage de cohérence dans cette gouvernance à multiple niveaux !

Car ces conférences territoriales seront encore accompagnées d’une ou plusieurs Conférences des financeurs regroupant des représentants de l’Etat, des communes, des EPCI compétents, des CREPS, des instances locales du CNOSF, du CPSF, des fédérations et ligues, des organisations professionnelles, de toute autre personne intéressée (avec, dans ce cas, un accord majoritaire des autres membres) et, selon le cas, de représentants des autres niveaux de collectivités.

Le Parlement ne jouera qu’un rôle de contrôle a minima de cette nouvelle organisation ubuesque puisque les commissions en charge de la culture et des finances des deux assemblées se verront seulement présenter le rapport annuel de l’ANS et que deux députés et deux sénateurs siègeront au CA de cette agence mais avec simple voix consultative.

Les sénateurs socialistes se sont opposés à la création de ce nouveau mode de gouvernance du sport qui n’aura vraisemblablement pas les moyens d’accomplir ses missions et qui, en remplaçant le ministère des sports par une structure à multiple niveaux, risque fort de diluer les responsabilités et compromettre une réelle efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques relevant du secteur du sport. Ils ont néanmoins tenté, par leurs amendements, d’améliorer, à la marge, le fonctionnement et le mode de financement de l’ANS, tout comme la définition de ses missions : ainsi, afin d’améliorer son niveau de financement, ils ont permis à l’ANS de collecter aussi des recettes issues de personnes morales de droit privé ; ils ont également donné mission à l’ANS de veiller à la bonne combinaison entre les projets sportifs territoriaux et les projets sportifs fédéraux.

Il convient désormais d’être extrêmement vigilant sur la mise en œuvre de la convention de l’ANS, la mise à niveau des sources de financement nécessaires à son fonctionnement et sur les déclinaisons territoriales qui seront données à la politique de l’ANS. La création de l’ANS constitue un mauvais coup porté au secteur sportif français qui compromet le bon déroulement des échéances internationales et brade la politique de développement du sport pour tous.

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Le blog de
Gilbert Roger

Ce BLOG est mon outil pour communiquer sur mes passions comme la gastronomie, les livres ou les voyages.

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