Reconnaissance de l’état de Palestine : mon discours à la tribune du Sénat

Intervention de Gilbert Roger

Proposition de résolution invitant le gouvernement à reconnaître l’Etat de Palestine

Jeudi 11 décembre 2014

Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

C’est avec une certaine émotion que je monte aujourd’hui à la tribune, en tant que premier signataire de cette proposition de résolution invitant le gouvernement français à reconnaître l’Etat de Palestine.
Le débat que nous nous apprêtons à engager et notre vote sur ce texte sont attendus, car la voix de la France, pays fondateur de l’Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et ami des peuples israélien et palestinien, compte sur la scène internationale. La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. Elle l’a déjà prouvé en votant en 2011 en faveur de l’adhésion de la Palestine comme membre à part entière de l’UNESCO, puis en disant « oui » à l’accession de la Palestine au statut d’Etat non-membre de l’ONU en novembre 2012. De la Révolution française à de Gaulle et Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. C’est ce qui fait de notre pays sa spécificité, et sa grandeur.
Il y a 20 ans, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat recevaient le prix Nobel de la paix pour les accords d’Oslo qui, un an après leur signature, semblaient encore promettre une coexistence pacifique entre les deux Etats, l’un israélien et l’autre palestinien. Ce rêve, anéanti par les promesses non tenues de part et d’autre, ne verra jamais le jour si rien n’est fait pour amener les parties au conflit à s’entendre.
Aussi, les démarches politiques entreprises actuellement en Europe en vue de cette reconnaissance interviennent à un moment de blocage manifeste du processus de paix israélo-palestinien. Le cycle de négociations longues et intenses, dans lequel les Etats-Unis s’étaient fortement impliqués, s’est conclu au printemps par un échec, et a été suivi, au cœur de l’été, par le conflit meurtrier de Gaza, qui a fait 2160 morts, dont 83 % de civils, du côté palestinien. L’échec de la diplomatie a, une fois encore, repoussé les perspectives d’un règlement définitif de ce conflit, laissant place aux compromis militaires et autres conférences de reconstruction. Une fois encore, une fois de trop.
J’ai une pensée particulière pour le ministre palestinien décédé hier lors d’une manifestation pacifique.

Dans ce contexte, l’initiative parlementaire française a toute sa place. Ce combat pour la reconnaissance d’un Etat palestinien n’est pas nouveau, il est défendu par la France depuis la déclaration de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Tous les présidents de la République qui lui ont succédé ont agi avec constance pour la paix dans cette région du monde, jusqu’à l’actuel chef de l’Etat, François Hollande, qui prend des initiatives diplomatiques fortes pour la tenue d’une conférence internationale.
Bien que vieux de plus de 30 ans, ce combat prend une dimension nouvelle avec la reconnaissance unilatérale de la Palestine par la Suède. Fin octobre, la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s’exprimait sur le sujet en affirmant, dans un entretien accordé à 5 quotidiens européens, qu’elle était favorable à une reconnaissance de l’Etat palestinien, et qu’elle « serait heureuse si au terme de (s)on mandat l’Etat de Palestine existait ». L’Europe a un rôle diplomatique à jouer dans la région, elle est le premier contributeur d’aide des territoires palestiniens. La France doit reprendre l’initiative diplomatique et entraîner ses partenaires du Quartet – dont l’Union européenne – dans une nouvelle dynamique.

Jusqu’à présent, l’idée qui prévalait était que la reconnaissance de l’Etat de Palestine devait être liée à la négociation bilatérale, après accord notamment sur les frontières et le statut de Jérusalem. Cet argument perd aujourd’hui de sa force. Depuis l’échec, en avril, de la dernière médiation américaine, aucune négociation n’est en cours, aucun préparatif de pourparlers ne se dessine. Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé lors de la dernière conférence des ambassadeurs, en août dernier : « A partir du moment où la négociation serait impossible ou n’aurait pas de conclusion, il faudrait évidemment que la France prenne ses responsabilités ». Vous avez raison : il est temps que la France prenne ses responsabilités, et reconnaisse l’Etat de Palestine, car chaque jour qui passe sans un règlement de paix durable entre Israël et la Palestine écarte un peu plus la possibilité même de l’existence d’un Etat de Palestine viable, tant la colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute le territoire du présumé futur Etat. Depuis la rentrée, 400 hectares de terre cisjordanienne ont été annexés, la construction de 1000 nouveaux logements à Har Homa et Ramt Shlomo ont été annoncés, et plusieurs maisons palestiniennes de Silwan ont été confisquées.
Aussi je crois, au contraire, qu’il est nécessaire d’inverser la procédure qui n’a pas fonctionné depuis les accords d’Oslo, à savoir la négociation d’un accord intérimaire, suivi cinq ans plus tard d’une négociation bilatérale sur les grandes questions du statut final. Cette démarche, qui exclue de fait l’ONU, a fait la preuve de son échec. Aussi faut-il reconnaître dès à présent l’Etat palestinien.

En effet, cette reconnaissance d’un Etat de Palestine, aux côtés de l’Etat d’Israël, vivant côte à côte en paix et en sécurité, serait le premier pas vers une relation d’égal à égal. Ne pas reconnaître la Palestine comme Etat, c’est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestinien et israélien continuent à vivre dans un climat de violence et d’insécurité. Cette reconnaissance est la condition sine qua non à l’ouverture de véritables négociations entre Israël et la Palestine, afin d’aboutir à une paix durable.
Reconnaître la Palestine comme Etat, c’est se conformer au droit international, et lorsqu’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un Etat, qui doit être créé selon les normes approuvées par la communauté internationale qui avaient présidé à la création de l’Etat d’Israël. Cette reconnaissance sécurisera par ailleurs l’existence de l’Etat de Palestine, qui est aujourd’hui très gravement menacée par la poursuite de la colonisation israélienne.

J’ai entendu les arguments des opposants à cette reconnaissance de l’Etat de Palestine.
Israël, par la voix de son ambassadeur Yossi Gal, a exprimé ses craintes sur cette démarche, qu’il juge illusoire. Pour lui, seuls les pourparlers entre les deux parties permettront d’arriver à un règlement, et toute reconnaissance unilatérale serait vécue par Israël comme une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens.
Or, depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin en novembre 1995, aucun processus de paix sérieux n’a été engagé. Le cycle de la violence s’est exacerbé. La colonisation israélienne, notamment autour de Jérusalem, s’est intensifiée, au point de compromettre l’existence même d’un Etat palestinien viable. La signature, le 26 août 2014, d’un énième cessez-le feu entre Israéliens et Palestiniens n’a pas empêché une dangereuse recrudescence des violences. Aussi l’argument, par ailleurs tout à fait justifié, selon lequel la reconnaissance internationale d’un Etat palestinien devrait suivre l’obtention d’un accord avec Israël, perd beaucoup de son poids dans l’impasse actuelle.
Quant à l’idée d’une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens, je crois qu’il faut rappeler le droit international : invoquer le droit à l’autodétermination n’est pas opposé aux négociations. La Palestine ne peut continuer à être l’exception des normes internationales. Pour autant, les dirigeants palestiniens ne doivent pas se soustraire aux choix difficiles que les deux parties ont à faire, et les négociations seront nécessaires pour régir les relations entre Israël et la Palestine. Elles devront aborder tous les sujets du statut final, en particulier les questions des réfugiés, de Jérusalem, des colonies et des frontières.
Certains pensent que cela ne sert à rien de reconnaître un Etat palestinien, qu’il ne s’agit que d’un acte symbolique. Je ne suis pas de ceux-là ; je pense au contraire que cela a un sens, que c’est le seul choix qui permettra d’aboutir à la paix et de garantir aux Israéliens comme aux Palestiniens leur liberté et leur sécurité. Les parlementaires que nous sommes ne souhaitent pas adopter une décision symbolique, ils souhaitent agir pour la paix. Le fait que la France, membre du conseil de sécurité de l’ONU, pays où vit la plus importante communauté juive d’Europe, puisse reconnaître l’Etat de Palestine, ce n’est pas qu’un symbole, c’est un acte politique.
Quant à ceux qui s’inquiètent de cette initiative qu’ils jugent « prématurée », je souhaite leur répondre que cela fait 47 ans que les territoires palestiniens sont occupés ; 32 ans que le président François Mitterrand est intervenu à la Knesset sur le sujet ; 20 ans que le processus d’Oslo est au point mort ; 15 ans que le Conseil de l’Union Européenne à Berlin a dit « le moment est venu »… Aussi je ne pense pas que cette reconnaissance soit prématurée, je pense au contraire qu’il est temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Cette reconnaissance est un premier pas dans le règlement définitif du conflit israélo-palestinien.
L’argument du caractère unilatéral de la reconnaissance de l’Etat de Palestine a beaucoup été utilisé par ses détracteurs. Je pense que cette idée est erronée. La reconnaissance de l’Etat de Palestine ne constitue pas une réponse aux seuls problèmes du peuple palestinien. Elle est une réponse et un soutien apportés aux démocrates des deux camps.
Enfin, à ceux qui estiment que ce n’est pas le rôle des parlementaires de voter ce type de texte, je souhaite leur rappeler que la représentation nationale est souveraine.

La France, qui est un pays de tolérance, combat les discours de haine, et récuse toute instrumentalisation de ce conflit sur son territoire national. Notre pays doit rappeler que le conflit israélo-palestinien n’est pas une guerre de religion, mais un conflit territorial. Comme républicain et comme citoyen, je souhaite réaffirmer qu’il n’y a pas d’importation possible de ce conflit sur notre sol, et que la France condamne sans concession le racisme et l’antisémitisme, ainsi que le terrorisme sous toutes ses formes.

Je souhaite réaffirmer que le vote d’une proposition de résolution par le Sénat invitant le gouvernement français à reconnaître l’Etat de Palestine est une démarche entreprise en cohérence avec les décisions précédentes de la France. C’est le rôle de notre pays, dans la dynamique qui se crée en Europe, de voter cette reconnaissance.
Ce vote serait un message adressé aux démocrates, qu’ils soient palestiniens ou israéliens, pour les encourager dans leur combat pour la paix, et leur signifier qu’il a des chances d’aboutir ; ce serait également un message de la France au reste du monde, pour apporter son soutien au camp de la paix.
Par ce vote, la Chambre haute adresserait un message fort d’engagement en faveur du droit international et de la diplomatie, comme seul moyen d’avancer. La reconnaissance de l’Etat de Palestine est la première étape pour reconnaître deux Etats et non un seul, afin de sauver la solution à deux Etats.
Vous avez opportunément proposé, Monsieur le ministre, un changement de méthode avec la perspective d’une conférence internationale. Nous soutenons cette démarche qui devrait s’accompagner de la définition d’une date butoir des négociations et associer les Etats arabes de la région. La reconnaissance doit s’inscrire dans cette perspective, comme l’élément d’une nouvelle dynamique qu’il est urgent de mettre en place.
Nous savons, comme parlementaires, qu’il appartiendra au gouvernement de décider, in fine, du moment approprié pour que l’Etat français reconnaisse l’Etat de Palestine. Je pense pour ma part que le moment est venu. Je veux le dire ici : « Un autre monde est possible ».

Pour conclure mon intervention, je veux rappeler la méthode qui a prévalu à la rédaction de la proposition de résolution dont je suis le premier signataire.
J’ai souhaité qu’elle soit rédigée en concertation avec nos collègues députés, afin que le Parlement français tienne un discours cohérent dans ses deux chambres. J’ai également voulu engager des consultations avec mes deux collègues Eliane Assassi, présidente du groupe CRC, et Esther Benbassa, membre du groupe EELV, afin que nous parvenions à une rédaction commune à la gauche sénatoriale. Je souhaite les remercier chaleureusement pour le travail que nous avons accompli, et qui a abouti à un texte cosigné par nos trois groupes politiques.
Je souhaite par ailleurs remercier tout particulièrement Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a organisé mercredi 3 décembre des auditions des ambassadeurs de Palestine et d’Israël, ainsi que du ministre Laurent Fabius, afin de préparer le débat qui nous occupe aujourd’hui. Ces auditions, élargies à l’ensemble des sénateurs et ouvertes à la presse, ont donné lieu à des échanges de grande qualité, et ont permis de donner de l’ampleur à notre débat, au-delà des clivages partisans.
Je souhaite également remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, que j’ai tenu informé de mon initiative parlementaire depuis le début.
Je veux enfin vous informer que notre ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, a été longuement consulté, afin que cette proposition de résolution vienne en appui à la politique diplomatique de notre gouvernement. Je le remercie pour sa disponibilité et son écoute.

Ce long processus de concertation et de négociation avec l’ensemble des groupes politiques a abouti à une rédaction légèrement modifiée, plus consensuelle que celle de la proposition de résolution que j’avais initialement déposée au Sénat, et qui est celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. En effet, j’ai souhaité écouter les expressions de toutes les sensibilités politiques sénatoriales, afin de parvenir à un texte de compromis, qui puisse être adopté majoritairement par notre chambre. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté, en accord avec les groupes socialiste, EELV et CRC, des amendements du président Raffarin, dans le respect de la diversité politique de notre assemblée. Aussi je remercie dès à présent tous les sénateurs qui, à l’heure du vote, ne feront pas obstacle à l’adoption de ce texte.

Notre chambre doit marquer sa volonté de sortir de l’impasse sur la question palestinienne en adoptant cette proposition de résolution, sur la base d’un consensus national, au-delà des clivages partisans. Je vous invite à le faire largement, afin que le message adressé au gouvernement, et au reste du monde, soit clairement entendu.

Je vous remercie.

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